La Ligne Fantôme
Il s’était juste trompé de bus. Il croyait aller à Compiègne. Il a atterri à Liège. Personne ne l’a revu. Voici l’histoire:
« Bonjour à toutes et à tous. Un épisode neigeux d’une rare intensité s’abat actuellement sur Paris et le nord du pays. Depuis l’aube, de fortes chutes de neige recouvrent la capitale, poussées par un vent glacial venu du nord-est. Les rafales atteignent 90 km/h, et la neige s’accumule rapidement, rendant les déplacements très difficiles.
Dans les Hauts-de-France, la situation est critique : routes bloquées, températures ressenties sous les –10 °C, et transports fortement perturbés. Les autorités recommandent de rester chez soi. La tempête atteindra son pic en soirée, avant de figer la région dans un froid mordant.
Restez à l’écoute pour de nouvelles mises à jour. »
David éteignit la radio et se dirigea vers l’armoire à pharmacie où il piocha un comprimé de paracétamol, qu’il avala avec un grand verre d’eau. Avec cette météo et ce mal de crâne, il était sur le point d’annuler son petit voyage dans le nord, mais revoir ses cousins l’enchantait. Et puis Compiègne, il aimait bien. Tant pis, il rattraperait sa nuit trop courte dans le train. Quant à son mal de tête, il finirait bien par disparaître. Ce n’était pas tous les jours qu’on retournait en boîte à quarante ans passés pour fêter les retrouvailles avec ses potes de fac.
Il songea encore à sa virée de la veille, se répéta qu’il avait trop bu, puis haussa les épaules en endossant sa doudoune en duvet d’oie. Ce qui était fait était fait.
Avec cette météo, autant se montrer prévoyant: il attrapa ses vêtements les plus chauds et entassa le tout dans une petite valise.
Après avoir vérifié qu’il avait bien ses billets de train et de bus (le Oisevia à destination de Compiègne, en passant par Beauvais), il s’engouffra courageusement dans la tempête.
On n’y voyait pas à dix mètres. La rue était déserte, figée sous un manteau blanc épais. Les réverbères peinaient à percer la neige tourbillonnante, leur lumière avalée par le vent glacé. Les voitures étaient englouties, les trottoirs effacés. Paris semblait suspendue, irréelle, perdue dans une nuit sans repères.
Une fois arrivé à la gare, David chercha la voie 12, vérifia soigneusement les stations sur le panneau digital (Persan-Beaumont, Chambly, Creil, Beauvais), et grimpa dans le TER. Il était un peu soulagé : son mal de tête s’était sensiblement réduit. Il mit son casque sur ses oreilles et se laissa bercer par la musique. La douce chaleur du compartiment ne tarda guère à l’envelopper. Il s’assoupit presque immédiatement, sans plus se soucier de rien : sa destination, Beauvais, était le terminus du train. Il connaissait par cœur le trajet (après quoi il prendrait le seul bus qui allait à Compiègne, où ses cousins l’avaient invité à pendre la crémaillère).
Le train s’ébranla, mais David dormait déjà. Le paysage, sous l’effet de la tempête, était d’un blanc immaculé. On ne pouvait plus distinguer les rails des champs, les panneaux annonçant les stations étaient ensevelis, les rares maisons dans la campagne, gainées de poudreuse.
Enfin, le train stoppa. Le freinage, brutal, réveilla David. Une femme, derrière lui, parlait au téléphone avec vivacité. « Il va falloir que tu viennes me chercher en voiture », disait-elle à son correspondant. « Non, le café de la gare est sûrement fermé, je t’attendrai à l’intérieur.»
David faillit lui dire que dans une grande ville comme Beauvais, il y avait sûrement un rade d’ouvert, même en pleine tempête, mais la femme était déjà partie.
De son côté, il était bien content de prendre un bus, un moyen de locomotion qu’il trouvait plus sécuritaire avec cette météo.
David s’étira doucement. Il se sentait un peu mieux, n’était cette fatigue tenace. Le trajet avait été rapide, plus que d’habitude. Un effet du sommeil, probablement.
La gare ressemblait à toutes les gares de province, et toute cette neige nivelait le paysage de façon presque grotesque. Son bus l’attendait, comme prévu, juste devant. Il vérifia le nom de la compagnie : Oisevia. Le véhicule était enrobé de neige, le pare-brise mis à part. De même, de la poudreuse collante coupait le « O » de Oisevia en deux et aussi le « a » final, mais pour le reste c’était tout bon.
Frigorifié, il grimpa rapidement à l’intérieur, sur un signe du conducteur qui grillait une cigarette. L’homme arborait des traits méditerranéens et parlait en italien avec un collègue. Par cette météo, on pouvait comprendre qu’il n’était guère pressé de prendre la route.
Étonnamment, il y avait pas mal de monde. Sûrement des petits Parisiens comme lui qui voulaient profiter de leur week-end chèrement gagné, coûte que coûte, et ce, malgré la météo. Les gens s’étaient munis de bagages encombrants, qu’ils rangeaient dans la soute. Il y avait pas mal d’étrangers et même une mère de famille avec un bébé. La pauvre femme s’était encombrée d’une cargaison de biberons et d’articles de puériculture, comme si elle allait au bout du monde.
David s’installa derrière le chauffeur, boucla sa ceinture et attendit.
Le bus démarra.
La tempête était telle que décrite par la météo : glaciale et dangereuse. Alors que David sombrait de plus en plus dans la torpeur et le sommeil, il capta quelques bribes de conversation:
« … pas arrivé depuis au moins vingt ou trente ans ! », « Comment vont faire les Parisiens qui travaillent à Beauvais ? », « … immobilisé pour une semaine ! », « … plus aucun trafic à partir de Creil, heureusement que ma sœur ne l’a pas pris aujourd’hui ! ».
— Votre billet, Monsieur ?
David sursauta. Il s’était encore endormi. Bonjour la quarantaine, songea-t-il en se comprimant le crâne, de nouveau en proie à la migraine.
Il fouilla dans ses poches, jeta brièvement un coup d’œil par la fenêtre pour voir s’il était arrivé à destination. Apparemment, ils se trouvaient en ville.
Mais il ne reconnaissait rien. Ces rues aux façades en briques brunies, avec une friterie qui fumait à l’angle, et voisine d’un vieux bistrot qu’il ne connaissait pas, l’angoissèrent.
— Nous sommes arrivés à Compiègne, Monsieur ? Demanda-t-il au contrôleur. Je suis bien dans le bus régional Oisevia direction Compiègne ?
— Ah non, Monsieur, vous avez pris le bus international OiseviaX, départ de Creil, qui arrivera à Milan demain matin. Actuellement, nous sommes à Liège, en Belgique.
FIN
Si ce texte vous a laissé un goût d’inachevé ou de revenez-y…
Il y en aura peut-être d’autres. Pas souvent. Mais assez pour surprendre.
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