Je m’appelle Lena et je suis vieille. Enfermée toute ma vie dans cet appartement, je me demande ce qui tourne dans la tête des hommes. Mon homme à moi, Daryl, il m’abandonne chaque jour pour aller travailler et ne se préoccupe guère de moi et de ce que je fais de mes journées.
Les enfants ont sensiblement le même comportement à mon égard. Ils ne songent qu’à me faire tourner en bourrique, surtout Maxime, qui me vole systématiquement ma place à table. Elodie, quant à elle, ne supporte pas que je fasse ma sieste dans le canapé, face à la télévision. Elle me pousse sans ménagement pour regarder sa série préférée, avec son pot de glace entre les mains. Et pas question de partager! Je vais parfois dans la poubelle, la nuit, quand tout le monde dort, pour récupérer les résidus de glace dans le pot.
Je vais bientôt mourir, je le sais. Parfois, je regarde par la fenêtre, et je me demande ce qu’aurait été ma vie si j’avais pu sortir. J’aime observer le ciel, avec ses nuages, ses bleus et ses gris. J’imagine la sensation de la pluie sur moi, l’odeur des arbres, le velouté de l’herbe, la fraîcheur craquante de la neige.
Parfois, mon homme ramène d’autres femmes à la maison. Il ne prend pas la peine de se cacher pour me tromper et les créatures qui défilent se baladent nues devant moi, comme si de rien n’était. J’avoue que ça me rend jalouse. Je n’aime pas beaucoup laisser ma place dans le lit à côté de Daryl. Je souffre d’un tel manque de considération que parfois j’ai envie de demander le divorce. Mais je ne veux pas quitter la maison. Pour aller où? Pour faire quoi? Je n’ai jamais travaillé de ma vie. Et j’ai mes petites habitudes.
Le matin, après le petit déjeuner, je me lance dans une longue et srupuleuse toilette. Le midi, je fais un peu d’exercice dans l’appartement. L’après-midi, c’est petite sieste. Le soir venu, tout le monde est à la maison, et ça rompt un peu ma solitude. Mais c’est la nuit que je préfère, quand tout le monde dort et que je suis la seule éveillée. Daryl laisse la fenêtre du balcon entrouverte. Et chaque nuit, je me demande quand j’aurai enfin le courage de sortir.
La seule fois où j’ai quitté l’appartement, c’est lorsque Daryl m’a emmenée chez le vétérinaire, pour une grosse piqûre. « Car vois-tu, m’a-t-il expliqué, les chats peuvent transmettre des maladies aux humains. »
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