Allez, encore une page. Une dernière et je vais me coucher. Pendant que l’imprimante sort la production de la journée avec son crachotement habituel, je rédige les quelques paragraphes qui termineront en beauté cette fichue scène de mon roman.

La journée a été productive: 4000 mots rédigés, soit l’équivalent de 12 pages d’un premier jet de roman. Bien entendu, ces mots ne sont pas définitifs, mais au moins ils existent. C’est un bon début pour un écrivain.

J’ai fait mon boulot pour la journée, je suis fière et satisfaite. Je vais enfin pouvoir savourer un repos bien mérité.

Je ferme mon logiciel d’écriture et éteins mon ordinateur. Il est minuit, l’heure d’aller dormir. Je m’étire – malgré mes séances de musculation tous les muscles de mon dos sont douloureux – et me prépare une petite collation: tisane, noix, et fruit. Je l’ai bien mérité!

Un petit tour dans la salle de bain et je me glisse avec délice dans les draps frais. Je ferme les yeux, m’abandonnant à la fatigue. Mais mon cerveau encore en ébullition est totalement rétif au sommeil. J’éteins tout de même la lumière et me pelotonne sous la couette.

D’une voix qui me fait presque sursauter, il me lance:

— Franchement, ton personnage de Lucie, je te l’avais décrit autrement. Tu l’as rendu insignifiant. Comment veux-tu que tes lecteurs accrochent?

Mais c’est toi qui l’as inventé!

Puis:

— Si j’étais toi, je me calmerais sur les descriptions à la Balzac, personne n’écrit plus comme ça aujourd’hui!

Une source d’inspiration pour tous les auteurs !

Mais tu ES moi!

— La dernière scène manque de mouvement. Tu vas ennuyer le lecteur !

Je rallume la lumière. Je suis perplexe, je commence à douter. Je me lève brusquement et attrape mon exemplaire des Illusions perdues de Balzac dans ma bibliothèque. Je m’assois sur mon lit et je parcours quelques exemples de descriptions balzaciennes. Est-ce que j’écris vraiment de cette façon? En même temps, Balzac était un génie de l’écriture!

Mais pas moi. (Enfin, personne ne m’a jamais qualifiée de la sorte!)

Fébrilement, je me lève et me dirige vers mon bureau. Le petit tas de feuilles est là, bien rangé avec le reste de l’oeuvre en cours d’élaboration.

Je feuillette mes douze pages… Il y a clairement une influence balzacienne dans mes descriptions, en moins bon.

Je lis et relis les passages critiques, entourant et raturant mes feuillets.

Je rallume l’ordinateur – je ne peux pas laisser le texte en l’état – et je me remets à la tâche. J’en ai pour toute la nuit.

Est-ce pour cela que Balzac écrivait quinze heures par jour?

 

 

 

 

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Alex

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